Figures incontournables auprès des plus vulnérables, les organismes sociocommunautaires et les CDC qui les chapeautent ont été projetés au cœur de l’action quand la COVID-19 a atteint le Québec. Résultat : ces instances ont démontré une fois de plus leur pertinence.
Un sondage réalisé par TACT Intelligence-conseil pour la Table nationale des CDC révèle notamment que c’est à travers des cellules de crises intersectorielles formées dans la foulée de la pandémie que le rôle et l’apport des CDC ont été mis en lumière, ce qui leur a permis de trouver en leurs interlocuteurs de nouveaux alliés, des représentants municipaux, des députés, des acteurs du secteur économique local de même que des employés de la santé publique.
« Notre place, au niveau social, est désormais acquise, souligne le directeur général de la CDC Haute-Yamaska, Sylvain Dupont. La crise nous a permis de nous rapprocher avec les élus des autres municipalités de la MRC qui nous connaissaient peu. Je crois qu’à l’avenir, dans d’autres contextes sociaux et communautaires, la CDC va être interpellée. »
« C’est comme si certains avaient découvert que les organismes communautaires assuraient des services essentiels », estime la directrice de la CDC Domaine du Roy, Marie-Josée Savard.
Nouveaux partenaires
Ces liens se sont traduits par davantage de contacts avec les élus, une collaboration plus étroite avec les organismes communautaires membres et l’inclusion de nouveaux, de même que par des partenariats avec des entreprises privées ou des organismes à vocation économique avec lesquels les CDC avaient rarement travaillé.
En effet, indique le sondage, 92,7 % des répondants ont affirmé que la crise sanitaire leur a permis de consolider des partenariats et 82,9 % ont indiqué en avoir développé de nouveaux.
Par exemple, le Fonds communautaire des Chenaux a mis sur pied un « marché partenaire » avec le Mouvement d’Action Solidaire des Sans-Emploi (MASSE) des Chenaux, où des denrées alimentaires seront offertes à moindre prix aux ménages les moins nantis. « Grâce à une aide financière du gouvernement fédéral dans le cadre de la pandémie, on a les moyens de mettre en place ce nouveau projet avec eux », explique Geneviève Paré, directrice générale du Fonds communautaire des Chenaux.
Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, la Maison de la famille Éveil-Naissance a pu créer un fonds pour financer certains achats d’urgence grâce à une aide financière. Elle a du même coup scellé des partenariats avec plusieurs commerces locaux où des cartes-cadeaux ont été achetées puis offertes à des familles dans le besoin. Une autre entente, cette fois avec des boutiques à prix modique, a permis à une intervenante d’accompagner des familles pour l’achat de vêtements de première nécessité. Près de 70 familles ont jusqu’à présent pu profiter de ce coup de pouce financier.
« Ce qui est merveilleux, c’est que ce fonds d’urgence va perdurer puisque nous sommes parvenus à dégager des fonds pour le pérenniser », se réjouit la directrice générale Isabelle Marcoux. Les modalités d’application de cette entente restent à peaufiner, mais déjà, on souhaite que d’autres partenaires se joignent à l’initiative.
En outre, plus de neuf répondants sur 10 ont signifié que la crise a forcé leurs partenaires à redéfinir leurs priorités. « J’ai pris part à une cellule de crise mise en place par la MRC de la Haute-Yamaska. À une occasion, j’ai fait remarquer au groupe que les préoccupations s’articulaient particulièrement autour de la relance économique des entreprises et de la conservation d’emplois, ce qui était important, mais qu’on oubliait les humains qui occupaient ces emplois et qui faisaient rouler ces entreprises. Toute la question de la santé mentale et physique a été ramenée au cœur de nos échanges », indique Sylvain Dupont.
« Courroies de transmission »
Les CDC ont agi à titre de point central de transmission de l’information. Pour Mme Paré, la CDC des Chenaux est une « courroie de transmission » incontournable depuis le début de la pandémie. « C’est toujours par là qu’on apprend les nouvelles informations, les nouvelles mesures », énumère-t-elle.
Grâce à ce partage d’information, les liens entre les différents organismes communautaires d’une même région se sont aussi resserrés durant la crise sanitaire. « On pouvait mieux référer notre clientèle à d’autres. C’est aussi comme ça que j’ai appris qu’un autre organisme achetait des fournitures scolaires. Comme on avait aussi besoin de le faire, plutôt que de dédoubler le travail, on leur a offert le montant qu’on prévoyait investir afin qu’ils s’en occupent », dit Mme Marcoux
Les CDC ont également usé de tous leurs moyens pour faire rayonner le travail de leurs membres alors que ceux-ci étaient plus utiles que jamais.
Le sondage relève que les médias sociaux (95 %) et les médias d’information locaux (67,5 %) étaient les moyens de communication par excellence.
« Il a fallu trouver des méthodes pour communiquer rapidement et efficacement, souligne Jean Brouillette, directeur de la CDC des Chenaux. Avec les médias sociaux et les visioconférences, nous avons établi des liens plus rapidement et plus fréquemment, ce qui a contribué à les solidifier. Cet esprit de solidarité a fait en sorte qu’on a tous pu s’adapter plus rapidement pour continuer d’offrir des services essentiels à une population qui en avait besoin. »
Des travailleurs à bout de souffle
Même si les liens entre les acteurs du milieu communautaire et le reste de la communauté se sont resserrés, la crise de la pandémie a aussi contribué à fragiliser les organismes, déjà aux prises avec un manque de ressources.
« Le sondage visait à obtenir une vision globale du terrain et ç’a confirmé nos impressions selon lesquelles les organismes ont besoin d’aide », remarque Martin Boire, directeur général de la Corporation de développement communautaire (CDC) de Longueuil.
En effet, souligne celui qui est également président du conseil d’administration de la Table nationale des CDC (TNCDC), l’isolement et la détresse sont palpables chez plusieurs travailleurs des organismes, qui sont déjà « épuisés et débordés ». « Normalement, je suis témoin de ce niveau d’épuisement en décembre », illustre M. Boire.
« Les gens parlent déjà de la deuxième vague, mais nous, on ressent encore le ressac de la première, ajoute-t-il. En ce sens, les CDC vont être encore interpellées pour leur apporter du soutien. »
« Il y a eu un impact réel de la crise sur le personnel et sur nos offres de services, confirme Sylvain Dupont, directeur général de la CDC Haute-Yamaska. Les travailleurs du communautaire subissent des contrecoups psychologiques. »
Plusieurs CDC ont d’ailleurs dû mettre en place de la formation spécifique pour prévenir l’épuisement, un programme d’aide aux employés et offrir du soutien psychologique aux employés des organismes communautaires, révèle le sondage.
Parmi les services ayant dû être développés par les CDC pendant la crise, le soutien technique et l’accompagnement arrivent au premier rang (70,5 %), suivi de la création de cellules de gestion de crise et de la mise en place d’outils et d’activités (ex æquo à 22,7 % chacun). Une CDC sur cinq (20,5 %) a aidé ses membres à acquérir de l’équipement de protection, et 13,6 % ont offert du soutien psychologique ou mis sur pied un programme d’aide aux employés.
« Au printemps, on a tenu des cafés-rencontre de façon hebdomadaire pour briser l’isolement de nos membres et les soutenir. On sentait leur fragilité, leur anxiété, leur détresse. Il y a des organismes qui ont leurs locaux dans les bâtiments municipaux, qui ont été fermés au début de la pandémie. Du jour au lendemain, nos organismes sont devenus des sans-abris et n’étaient pas prêts à passer au télétravail », relate Marie-Josée Savard, directrice générale de la CDC Domaine du Roy, à Roberval.
Manque de bras
Avant même de subir la pression supplémentaire engendrée par la pandémie, les organismes communautaires étaient aux prises avec un manque de main-d’œuvre qui limitait leur champ d’action. « Cette pénurie est loin de s’être résorbée avec la COVID, bien au contraire, relève M. Boire. Dans les premières semaines de la pandémie, des organismes ont dû se priver de plusieurs bénévoles qui, pour éviter de propager le virus ou l’attraper, sont restés chez eux. »
« C’est aussi le cas si un travailleur attrape la COVID ou qu’il doit rester à la maison parce que son enfant ne peut pas aller à l’école : sa charge de travail repose sur les épaules de ses collègues en place » poursuit le directeur. Heureusement, certaines mesures d’aide financière d’urgence ont permis à des organismes d’embaucher. Mais ce n’est pas assez. »
Plus de la moitié des CDC se sont impliquées dans la prestation de services directs à la population. Parmi ceux-ci, le soutien pour l’aide alimentaire (56 %), l’accompagnement personnalisé (32 %) et l’aide au financement et au recrutement (12 %), indique l’enquête.
« Il ne faut pas oublier les problématiques en santé mentale, la sécurité alimentaire, le transport et les autres domaines d’interventions du communautaire. Ces réalités-là n’ont pas disparu pendant la pandémie », rappelle Jean Brouillette, directeur de la CDC des Chenaux.
Le nerf de la guerre
Le financement demeure le nerf de la guerre. Même si le gouvernement a débloqué des fonds pour soutenir l’action des organismes, ceux-ci pourraient se retrouver affaiblis par une diminution importante de leurs autres sources de revenus.
« Beaucoup de nos organismes dépendent d’ateliers et d’autofinancement, rappelle M. Dupont. Beaucoup des activités prévues ont été annulées, ce qui a un impact sur l’avenir de ces organismes. »
Plusieurs dirigeants d’organisme redoutent une diminution de leur financement le printemps prochain, moment où l’aide financière sera déterminante pour la suite des choses, confie Martin Boire.
« Souvent, la grande partie des budgets des organismes vont en salaires. Si on diminue leur financement, c’est parfois un employé dont on doit se passer », note le président de la TNCDC, rappelant que toute coupe dans le financement des organismes entraîne des « choix douloureux » alors que les besoins en services sociocommunautaires ne vont que croître tant que durera la pandémie.
Marie-Josée Savard, elle, préfère demeurer optimiste. « On peine déjà à se maintenir à flot avec les budgets actuels, dit-elle. Mais j’espère toujours que le gouvernement a réalisé le rôle essentiel du communautaire pendant la pandémie et qu’il ajustera son financement en conséquence. »
Source: La Voix de l’Est, Marie-Ève Martel, publié le 17 octobre 2020